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Lionel Jadot, Designer de l’Année – Hospitalité au salon Maison&Objet septembre 2024

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Maison&Objet a l’immense plaisir d’annoncer la nomination de Lionel Jadot au titre de Designer de l’Année – Hospitalité. Ce titre distingue une signature éminente qui par son parcours, sa vision et sa singularité porte très haut l’exercice de son métier. De nationalité belge, designer, designer d’intérieur, artiste, Lionel Jadot est le symbole d’une époque en mutation accélérée dont il maîtrise déjà intuitivement les codes à venir. Il se verra remettre son prix lors de la prochaine édition de Maison&Objet, du 5 au 9 septembre 2024. Pour l’occasion, il disposera d’un pavillon carte blanche afin de mettre en scène sa philosophie du design d’intérieur. L’exercice porte cette fois sur l’aménagement d’un espace d’hospitalité. Oubliez vos repères classiques et préparez-vous à vivre une expérience inédite…

Tisser l’avenir avec le passé
Lionel Jadot est né dans un atelier de chaiserie, dans le Bruxelles populaire, où depuis six générations sa famille s’employait à menuiser fauteuils, canapés et autres chaises de style. Le reste de l’histoire est un roman, nourri de la passion précoce d’un enfant pour transformer tout ce qu’il pouvait glaner dans le rebus des établis. La maîtrise de la récupération fait partie de l’ADN de ce designer, initié à l’art et à la création par ses professeurs autant que par les artisans et les architectes auprès desquels il a grandi. L’aléatoire de sa matière première, trouvée suivant la disponibilité du moment, décuple sa créativité. C’est elle qui dicte le début de l’histoire, qu’il s’emploie à projeter dans des univers fantastiques aux confins de l’art. Lionel Jadot crée des œuvres uniques, qu’il s’agisse d’art fonctionnel ou de collectible design. Aux catalogues, il préfère les objets durables, que l’on ne souhaite jamais jeter. Lorsqu’il s’agit d’architecture intérieure, il n’est pas rare qu’il fasse appel à sa communauté de designers-makers pour façonner des intérieurs à la facture singulière. Dans son atelier de Zaventem, il en héberge une trentaine, afin de travailler non pas avec lui, mais à côté. Sélectionnés pour leur capacité à bousculer l’ordre établi, ensemble, ils ouvrent la voie d’un design écologique serein, et désirable, tiré vers le haut par l’amour de l’art et les prouesses de la haute-technologie. Optimiste de nature, Lionel Jadot sème des clés pour un avenir de tous les possibles.

Une double naissance
«Je suis littéralement né dans un atelier. Mon ADN vient de plusieurs générations de fabricants de sièges, établis depuis 1895 dans le quartier Saint-Gilles, à Bruxelles. J’ai grandi avec mes parents et ma sœur au-dessus d’une chaiserie de 3 000 mètres carrés, au milieu des grumes de hêtre. Trente-cinq artisans fabriquaient des carcasses de canapés, tapissaient des sièges et des fauteuils. Cela a défini énormément de choses chez moi. Cet atelier était l’espace de tous les possibles, un terrain de jeu où j’étais autorisé à récupérer tout ce qui tombait des tables de travail, copeaux, pieds Louis XVI ratés, accoudoir chantourné où un nœud dans le bois avait créé un éclat. Avec ma sœur, ces rebuts devenaient les pièces d’un Kapla extraordinaire pour fabriquer des châteaux. Mes parents étaient heureux de nous voir peindre à la bombe et brûler au chalumeau, une chance! Cette matière perdue était pour moi comme une malle aux trésors.»

Autodidacte
«Je me sentais enfermé dans les études classiques. Je me souviendrai toujours du jour où ma mère m’a annoncé que l’Académie Royale des Beaux-Arts de Bruxelles ouvrait une section pour les jeunes, à partir de la seconde. J’ai débarqué là-bas à 15 ans et découvert la liberté. J’y ai appris le dessin, le modèle vivant, le graphisme, la couleur, la sculpture, le collage, avec des profs géniaux pendant quatre ans, j’ai saisi ma chance et j’ai adoré. Puis ma mère est décédée et ma vie a changé.»

Un tempérament fonceur
«Au décès de ma mère, mon père a souhaité arrêter son travail à l’Atelier où ils formaient un duo indissociable. J’ai dit: je reprends l’affaire! Mon père m’a fait signer un papier disant que je pouvais partir quand je voulais. A dix-neuf ans, je me suis retrouvé à la tête d’une entreprise, gérant les commandes, les plannings, la création, les livraisons, les relations client. Ma mère m’a insufflé son énergie. Mon père m’a transmis le sens des proportions, il m’a appris à regarder ce que faisaient les anciens et à ne pas se contenter d’acquis trop faciles. Le mélange des deux a fait que j’ai réussi ce pari périlleux. Durant cette période de dix ans, j’ai acquis tout ce qui me sert dans la vie. Nos clients étaient de grands architectes européens parmi lesquels Claire Bataille ou Jean de Meulder, pour qui nous réalisions du mobilier haut de gamme. Ils sont devenus mes professeurs et mes mentors. Puis on m’a demandé d’aménager moi-même un chalet à Verbier, un loft à Bruxelles… En 2000, j’ai fini par monter mon propre studio, qui intégrait le principe de récupération des matériaux. Ma sœur est restée dans l’entreprise familiale.»

Le recyclage pour ADN
«Dans l’atelier de mes parents j’étais comme Alice au pays des merveilles. J’avais aménagé mon petit atelier dans un coin. A six ans, je fabriquais mon premier tabouret avec des chutes de bois, un artisan m’a aidé à manier la tenonneuse, pour l’assemblage en tenons et mortaises. Je l’ai tapissé avec des chutes de sangles et de velours car il n’était pas question d’entamer un rouleau neuf pour moi. Dans ce quartier populaire de Bruxelles il y avait une tradition: le jour des grandes poubelles. Nous partions avec ma sœur munis d’une brouette pour récupérer tout ce que les gens déversaient sur les trottoirs. C’était un gisement particulièrement inspirant. Nous écumions les rues et quand la brouette ne suffisait plus, nous appelions un contremaître avec sa camionnette. J’ai tout de suite compris l’intérêt de ce gisement, à détourner, à transformer. Dans mon premier appartement, j’ai créé un lambris avec une collection de portes début de siècle décapées, disposées sur le mur comme un puzzle.»

Anticonformiste
«Mon expression n’est pas figée, je n’aime pas me répéter. Je dois m’étonner moi-même, aller vers des terrains glissants. Quand nous travaillons sur un projet avec mes collaborateurs, au bout d’un moment, le fil que nous tirons devient trop évident et devient ennuyeux. Alors je casse le fil et nous repartons de zéro. Ce process est sinueux, organique, je ne crois pas en un seul mode de pensée. Je déteste les catalogues, je préfère le chaos et les accidents.»

Les Ateliers Zaventem
«Je cherchais un nouvel atelier quand je suis tombé sur cette ancienne papèterie, mesurant 6 000 m². Le bâtiment était à l’abandon mais dégageait une énergie très forte. Quelque part j’ai voulu reproduire l’atelier familial. J’ai tout de suite eu la vision d’y réunir une communauté de créateurs-producteurs. J’ai lancé un appel à projet puis réuni un board de huit personnes qui m’aideraient à la curation des futurs résidents. Nous avons été assez radicaux. Il fallait que les candidats aient le feu sacré, suffisamment d’énergie et d’ambition dans leur vision pour changer les choses. Métal, bois, bronze, cuir, les savoir-faire au final sont très variés. L’une travaille le sel, l’autre tanne la peau d’aubergine. Zaventem n’est ni un showroom, ni une galerie. C’est un lieu de création et de production où chaque atelier est indépendant, avec sa propre structure et sa clientèle. Au final, il est la réunion de 32 égos qui cohabitent en harmonie.»

Le Mix Bruxelles, un manifeste
«Je viens d’achever l’architecture intérieure du Mix Bruxelles, un projet qui m’a occupé deux ans. Au départ, il y avait ce bâtiment iconique construit en 1969 par Stapels et Dufau pour abriter la compagnie d’assurances La Royale Belge. J’ai été mandaté par un promoteur pour transformer une partie en hôtel de 180 chambres quatre étoiles, avec un food court de 2 500 m2 et une salle de sport de 3 000 m2. En forme de croix, l’architecture fonctionnaliste est en béton et acier corten. Il y avait dans l’auditoire des colonnes en cuivre de huit mètres de haut sculptées par Sabatier. Il considérait que sa sculpture renfermait la fonction. Dans cette même veine, nous avons créé dans tout le bâtiment des sculptures qui enferment des fonctions: restaurant, chambres… Cinquante-deux designers ont travaillé sur le projet, remplissant chacun une case blanche. Le style est brutaliste, comme le bâtiment original, mais avec un confort et des finitions très soignés. Tout a été fabriqué à moins de 50 kilomètres. Au final, rien ne provient d’un catalogue. Les propriétaires sont à la tête d’une collection de collectible design où tout est numéroté et signé. Rien ne sera jamais jeté mais transmis.»

L’hospitalité selon Lionel Jadot
«Quand je suis dans un hôtel, j’aime être projeté dans un ailleurs qui me surprend. J’aime casser les codes. Aujourd’hui, le client est plus attentif aux modes de production. Il est prêt à accepter des lignes de mobilier différentes, uniques, plutôt que des produits qui viennent du bout du monde. Je peux développer pour l’intérieur des meubles à base de plaques d’asphalte recyclées, un matériau pas très sexy au départ qui a vu passer des pneus mais devient du mobilier particulier et confortable. En termes de confort, je conçois tout de manière instinctive. Je vérifie tout: la bonne hauteur des choses, l’éclairage enveloppant, l’acoustique, les assises. Je fais en sorte qu’il y ait de la vie partout que l’on se sente bien.»

Terra Cosmos, le thème 2024 de Maison&Objet
«J’ai grandi avec la science-fiction, en lisant Dune et les bandes dessinées de Moebius. Nous ne sommes qu’un point minuscule dans l’espace. Je crois aux univers lointains, aux mondes parallèles et aux extra-terrestres. Cette liberté m’éloigne de l’académisme et ouvre un champ des possibles vers ce qui n’existe pas. Avec l’Intelligence artificielle, nous sommes en plein dans la science-fiction. Dès que les premières Open AI ont été ouvertes, mon équipe et moi nous sommes précipités pour les tester. Nous l’avons nourrie avec toutes sortes de données et tordue dans tous les sens. Avec la culture qui nous est propre, elle a généré des accidents, des choses inattendues. J’aime dessiner moi-même, c’est un moment où mon esprit est libre. Mais par la suite, nous jouons avec l’IA pour générer des moodboards.»

Son projet pour Maison&Objet
«Je vais créer un pavillon central qui sera l’illustration de ma philosophie de l’hospitalité, mais de façon beaucoup plus radicale et expérimentale que ce que j’ai mis en place au Mix Bruxelles. Toute une série d’artistes vont intervenir, chacun avec des techniques différentes de traitement de la matière recyclée. L’idée n’est pas d’apprécier seulement le design, mais la façon dont il a été produit. L’expérience et le story-telling seront très forts. Rien ne viendra d’un catalogue mais de l’atelier d’un créateur. Il y aura par exemple une table avec un piètement de hêtre sur lequel on aura fait pousser un plateau en champignon. Ce mycelium est passé par un four spécial qui tue les bactéries et rend la matière très dure. La chambre, le salon, seront abrités dans un dôme inspiré du Kogetsudai, un cône de sable construit il y a des siècles près de Kyoto.»

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