C’est au cours d’une conférence de presse organisée au musée Sursock que Nada Ghandour, conservatrice du patrimoine et commissaire du Pavillon libanais, a annoncé le thème du pavillon à la 59e Exposition Internationale d’Art-La Biennale di Venezia et présenté les détails du projet. La conférence s’est déroulée en présence du ministre de la Culture, S.E. le juge Mohamad Wissam el-Mortada qui a déclaré à cette occasion: «L’art est un pas de la Nature vers l’Infini, disait le poète Gibran Khalil Gibran. Et dans cet infini immense et merveilleux, là où les paroles s’envolent, l’art demeure. Aujourd’hui, le Pavillon libanais à la Biennale Arte 2022, peut commencer à prendre forme et à se dévoiler. Avec cette urgente nécessité de sortir de ses crises, cette nécessité qui pousse à renforcer une scène artistique foisonnante, dans l’urgence de l’expression de ses traumatismes et de ses accomplissements, la présence du Liban à Venise répond à cet appel.»
Placé sous l’égide du ministère de la Culture et organisé par la Lebanese Visual Art Association (LVAA), le Pavillon libanais à la Biennale Arte 2022 qui aura lieu du 23 avril au 27 novembre 2022, exposera les œuvres de la cinéaste et vidéaste Danielle Arbid issue de la diaspora et installée à Paris, et du plasticien Ayman Baalbaki qui vit et travaille à Beyrouth, dans une scénographie conçue par Aline Asmar d’Amman, architecte et fondatrice de Culture in Architecture.
Dans son intervention Nada Ghandour a souligné: «Cette proposition artistique, en lien étroit avec le contexte libanais et qui fait totalement écho à des problématiques mondiales, invite à un voyage symbolique dans notre monde contemporain grâce à un thème, une ville et deux artistes. La crise économique, sociale et politique qui affecte le Liban depuis fin 2019 est sans précédent, et le bâtiment de l’Arsenal de la Biennale retentira de ses échos grâce aux œuvres des deux artistes qui ont été choisis et qui ont entretenu un dialogue esthétique et politique. Au-delà d’une création artistique, cette exposition à Venise propose à tous les libanais au Liban ou ailleurs dans le monde, un espace d’échange symbolique sur leur histoire et celle de leur pays et la société d’aujourd’hui.»
Et d’ajouter: «L’ambition de ce projet est de faire rayonner la scène artistique libanaise au niveau international et d’envoyer un signal fort aux artistes de ce pays qui traverse les moments les plus difficiles de son histoire. La préservation de ce secteur artistique est devenue une priorité et d’une importance primordiale surtout avec les retombées économiques que cela implique.»
Le Projet: “Le monde à l’image de l’Homme”
Le Pavillon libanais à la Biennale Arte 2022 met en espace l’action perpétuelle de l’imaginaire humain sur la réalité du monde. Dans l’exposition “Le monde à l’image de l’Homme”, la fiction inspire et nourrit plus que jamais notre quotidien. Son projet invite à un voyage symbolique dans le monde contemporain, grâce à ce thème, une ville, Beyrouth et deux artistes Ayman Baalbaki et Danielle Arbid qui entretiennent à distance un dialogue politique et esthétique à travers des œuvres si lointaines et pourtant si proches. Beyrouth, ville monde, est le lieu où s’incarne ce thème qui n’a pas de frontière: tous les individus de toutes les cultures peuvent l’interpréter et se l’approprier à travers leur propre perception. Seul l’art peut déchiffrer les codes de notre vision, les transcrire et les faire résonner dans une forme ou une autre. Ainsi, l’installation monumentale d’Ayman Baalbaki et la vidéo de Danielle Arbid évoluent entre une image mentale devenue réalité grâce au geste plastique de Baalbaki et une réalité tangible devenue pure vision dans l’œil de Arbid. Le dialogue entretenu avec Beyrouth par les deux artistes révèle la concurrence de plus en plus accrue entre le réel et le virtuel. Un changement de paradigme qui a eu une incidence sur notre environnement et nos activités les plus diverses, et qui a créé un lieu désormais commun à toute l’humanité.
Le Liban a été traversé aussi bien par la tradition que par la modernité et, depuis l’Antiquité, a été un enjeu territorial majeur. Point charnière entre l’Orient et l’Occident, il a pâti de nombreuses fois d’être le réceptacle, malgré lui, de nombreuses tensions venues d’ailleurs et qui ont, à chaque fois, profondément transformé l’œuvre la plus achevée de l’homme: la ville. Plus que jamais, le drame politique, économique et social que le Liban connaît, depuis 2019, remet sous les yeux du monde Beyrouth, ville martyre et ville du futur en puissance.
Danielle Arbid et Ayman Baalbaki ont choisi comme sujet de réflexion et de création cette urbanité polysémique, entre virtualité et réalité, au cœur des soubresauts de la crise mondiale et de l’instabilité émotionnelle d’une relation au monde particulièrement technologisée. Danielle Arbid présente une vidéo intitulée Allô Chérie et Ayman Baalbaki une installation Janus Gate. La dimension politique des deux œuvres est plus que jamais justifiée à la lumière de la situation actuelle du Liban. Elles mettent toutes deux en scène les contradictions et les difficultés du pays à travers leurs symptômes. La course effrénée en quête d’argent est indissociable de la violence qui fait rage aujourd’hui au Liban. La spéculation immobilière, qui promet du rêve, cache la ruine et trompe sur la marchandise. L’angoisse face à l’implosion économique et politique du Liban s’expose de plus en plus. Avec leurs propres moyens, et marchant sur le fil de l’éternel retour, tous deux mettent à vif la chair du Liban dans son chaos et dans sa beauté.
Danielle Arbid affirme dans ce sens: «La vidéo qui va être projetée fait partie de la série Ma Famille Libanaise, une œuvre qui répond, par ses prises de vue, à celle d’Ayman. Dans cette œuvre, mon personnage – qui est ma mère – est à l’image de ce pays: elle l’incarne, avec sa mentalité fataliste, son goût du risque, son exubérance. Elle est prise dans une course effrénée d’argent, en voiture à travers Beyrouth. Sa lutte est indissociable de la violence qui prévaut aujourd’hui au Liban et qui fut aussi celle vécue dans d’autres pays, en Europe ou ailleurs.»
De son côté, Ayman Baalbaki souligne: «Mon point de départ a été la ville de Beyrouth que je vois comme une ville riche d’“espaces autres” au sens où l’entendait Michel Foucault. Sur le modèle du mot “libanisation”, qui désigne la fragmentation d’un état, “Beyrouthisation” qualifie des lieux perturbés par la présence de barricades et de frontières – pour parler, autrement dit, du démembrement urbain d’une ville et de sa fragmentation en îlots séparés. J’ai pensé alors à Janus, le dieu romain qui regarde à la fois vers l’intérieur et vers l’extérieur, le passé et le futur. J’ai construit une installation en 3D où deux espaces coexistent: un extérieur radieux et un intérieur qui ressemble à l’image fantasmée de tous les bidonvilles du monde.»
La Scénographie
L’exposition “Le monde à l’image de l’Homme” prendra place dans l’une des salles des bâtiments de l’Arsenal de Venise, bâtiment classé monument historique. La scénographie du Pavillon libanais devait répondre au projet curatorial à savoir la notion de dialogue qui est cruciale dans l’esprit de ce projet. En écho, aux œuvres de Danielle Arbid et d’Ayman Baablbaki, l’architecte Aline Asmar d’Amman propose un circuit au cœur du Liban qui: «prend la forme d’une coquille elliptique brute évoquant l’éternel vœu de renaissance et d’unité. La forme géométrique enveloppante invite les œuvres à dialoguer sans artifice, en vis-à-vis, raccourcissant les distances, comme dans une conversation innée et naturelle.»
L’architecture brute du Pavillon libanais fait référence aux ruines contemporaines du paysage urbain libanais, “l’Œuf” du centre-ville de Joseph Philippe Karam et le bâtiment de la foire internationale “Rashid Karamé” d’Oscar Niemeyer à Tripoli.
Cet écrin scénographique d’environ 150 m2, dérivé de l’architecture brutaliste qui a fleuri au Liban à partir des années 1960, fait écho à la déambulation dans Beyrouth d’Ayman Baalbaki et de Danielle Arbid. L’enceinte est revêtue de panneaux incurvés peints de texture bétonnée évoquant cette ville, en reconstruction permanente. L’oculus du Pavillon s’ouvre sur la charpente magistrale du toit vénitien comme un appel à l’élévation.
Dès l’entrée au Pavillon du Liban, le visiteur est confronté à l’œuvre de Ayman Baalbaki avant d’être interpellé par la vidéo de Danielle Arbid projetée à même la peau des murs de l’enceinte.
Pour Aline Asmar d’Amman: «Le choix de la radicalité du geste et des matériaux de scénographie témoigne d’une volonté de sobriété assumée en réponse à la situation actuelle du pays.»
Un comité scientifique, instance de réflexion, d’échanges et de discussions avec les artistes et l’architecte-scénographe avait pour rôle d’éclairer, de proposer et de conseiller. Ce comité était composé de Jean-François Charnier, Conservateur général du patrimoine, directeur scientifique à l’AFALULA, de Louma Salamé, directrice générale de la Fondation Boghossian – Villa Empain à Bruxelles, d’Annabelle Ténèze, conservatrice en chef du patrimoine, directrice des Abattoirs, Musée – Frac Occitanie Toulouse.